Reconstruction ND de Fontenay à la fin du MA

1 Journée Vendée Gothique La reconstruction de Notre-Dame de Fontenay-leComte à la fin du Moyen Âge, état de la question Visible depuis des kilomètres, la flèche de l’église Notre-Dame de Fontenay-le-Comte se dresse fièrement au centre de la ville. Elle en est le marqueur spatial le plus évident. Mais NotreDame ne constitue pas qu’un simple repère à l’entrée de la plaine. Elle est avant tout un témoin essentiel de l’histoire de la cité. Comme nombre d’églises paroissiales en Poitou, son origine est liée à l’implantation d’un prieuré, ici dépendant de l’abbaye de Luçon 1. L’église prendra par ailleurs le vocable de la Vierge, qu’elle partage avec le prieuré et son abbaye-mère. Toujours au sein des murs, l’abbaye de Maillezais implante le prieuré Saint-Hilaire, dont l’histoire sera intimement liée à celle de Notre-Dame. Dans les faubourgs, les églises paroissiales de Saint-Jean et Saint-Nicolas, distantes d’à peine une centaine de mètres, dépendent aussi chacune d’un prieuré, rattaché à l’abbaye de Déols pour la première et Maillezais pour la seconde2. À ce maillage régulier s’ajoute un découpage séculier complexe. En 1317, le grand diocèse de Poitiers, comprenant alors tout le Poitou, fut divisé en trois diocèses par le Pape Jean XXII, donnant naissance aux diocèses de Luçon et Maillezais3. Le diocèse de Luçon est alors constitué du doyenné d'Aizenay, de deux des doyennés de Brioux (Mareuil et Talmont), du doyenné de Montaigu et de l'archiprêtré de Pareds (venant de l'ancien archidiaconé de Thouars). Le diocèse de Maillezais reçoit quant à lui trois des doyennés de l'archidiaconé de Thouars (Saint-Laurent-sur-Sèvre, Vihiers et Bressuire), ainsi que le doyenné de Fontenay et l'archiprêtré d'Ardin (provenant de l'ancien archidiaconé de Brioux)4. Fait curieux, la ville de Fontenay-le-Comte est à cheval entre deux entités. À l’ouest, la paroisse de Notre-Dame est rattachée au doyenné de Fontenay, dont elle est le siège. De l’autre côté de la Vendée, les paroisses de Saint-Jean et Saint-Nicolas dépendent de l’archiprêtré d’Ardin. Toutes ces informations convergent vers l’idée que l’église Notre-Dame de Fontenay-le-Comte possède, à la fin du Moyen Âge, un statut particulier : église 1 Eugène-Louis Aillery, Pouillé de l’évêché de Luçon, Fontenay-le-Comte, Robuchon, 1860, p. 176. 2 ibid., p. 156-158. 3 Nicolas Rondeau, « La création des diocèses de Maillezais et de Luçon au début du XIVe siècle », dans Mathias Tranchant, Cécile Treffort (dir.), L'abbaye de Maillezais. Des moines du marais aux soldats huguenots, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2005, p. 229. 4 ibid., p. 237.

2 intra-muros d’une des villes les plus prospères de la région, qui entretient des relations étroites avec les abbayes-cathédrales de Luçon et Maillezais, et siège d’un doyenné. L’ambition architecturale des campagnes des XVe et XVIe siècles traduit à bien des égards ce caractère remarquable (fig. 1). Les témoins archéologiques les plus anciens remontent à la période romane. Une petite église est vraisemblablement édifiée à l’emplacement du vaisseau central actuel. De cette précédente Notre-Dame furent conservés la crypte, encore accessible aujourd’hui, et quelques fragments retrouvés sous le sol de l’église lors de travaux au XXe siècle. En 1945, Jean Merlet, architecte en Chef des Monuments Historiques, déplace l’accès initial à la crypte, alors situé au milieu de l’allée centrale, le long du mur gouttereau nord5. Ces travaux ont nécessité le creusement d’une tranchée traversant la moitié septentrionale de l’église, ce qui révéla au niveau des piles modernes les fondations d’un mur composées en partie de morceaux de chapiteaux, colonnes et claveaux datables du deuxième quart du XIIe siècle6. Quelques rares mentions de réfection sont connues pour le XIVe, mais rien n’atteste d’une reprise substantielle du bâti roman. Il faut donc attendre le début du XVe siècle pour que l’église Notre-Dame renoue avec les grands chantiers. Si la date de 1419 a pu être avancée7, la première mention qui fait encore foi aujourd’hui est celle du 6 août de 1423. Cette date était gravée sur un bénitier qui fut détruit en 1791. Selon les descriptions du juge de paix de Maillezais, Prézeau, l’objet portait l'inscription suivante : « Le VIe jour d'Aougst l'an mil CCCC XXIII furent commencees a faire III voutes neufves de ceans ; Item fut faict icet benestier en moys de may, l'an mil CCCC XXXVIII8 ». Cette mention soulève de nombreuses questions. Qu’entend-on par « commencees a faire III voutes » ? Parle-t-on vraiment de voûtes, ce qui nécessiterait l’existence de murs et de piliers en amont, ou parle-t-on de l’espace couvert par une voûte, c’est-à-dire une travée d’un vaisseau ? Et pourquoi trois voûtes précisément ? Ainsi, il est difficile de retenir la date de 1423 comme lancement des travaux. Néanmoins, dès 1424, l’obtention d’une bulle papale accordant des indulgences aux bienfaiteurs de l’église confirme 5 Médiathèque du Patrimoine et de la Photographie : E/81/85/7-49(2), Fontenay-le-Comte (Vendée). Eglise NotreDame. Dossier de conservation entre 1942 et 1981. 6 Les datations sont proposées par Bénédicte Fillion-Braguet. Mathilde Pubert, Inventaire du dépôt lapidaire Phelippon, 2021, rapport commandé par la mairie de Fontenay-le-Comte. 7 La date de 1419 apparaît dans l’Inventaire des titres de l'église de Notre-Dame de Fontenay-le-Comte (A. Bitton, 1872). Elle est vraisemblablement dû à une erreur de recopie au XVe siècle, puisque le document mentionne la signature d’Arthur de Richemont, qui n’est pas encore propriétaire de la ville à cette date. 8 Benjamin Fillon, Archives historiques de la ville de Fontenay-le-Comte (ensemble de pièces réunies par Benjamin Fillon), t. 1, Fontenay-le-Comte, ouvrage manuscrit, 1866-1872, p. 327. (Archives départementales de la Vendée : E dépôt 92, 1 II)

3 l’existence d’un chantier d’ampleur9. Une seconde bulle, datée du 15 mai 1445, est octroyée par Pierre, légat du pape Eugène IV10. Cette dernière bulle répond peut-être à la supplique envoyée au pape en faveur de la reconstruction de l'église datant du 14 mars 143711. Une dernière supplique, à l'initiative de l'évêque de Luçon et destinée au pape Nicolas V, sollicite de nouvelles indulgences en 144912. Enfin, la dernière date mentionnant les travaux du XVe siècle se trouve sur l’une des cloches présentes au sein de l'église, la plus vieille encore en utilisation en Vendée (fig. 2). Selon l’inscription, elle fut réalisée par un certain Gallois en 1466 pour donner suite à une commande de la fabrique de l'église et des habitants de la ville. Quelles conclusions tirer de cette mention ? Le clocher de l'église devait être suffisamment avancé à cette date pour qu'une cloche soit commandée. Rien ne confirme néanmoins que 1466 constitue un terminus ad quem, la flèche pouvant toujours être en construction lors de cette même année. Enfin, la réalisation de l’Inventoyre des lectres, titres et autres munimens de l’église parroichialle de Notre-Dame de Fontenay-le-Comte, réalisé en 1467 par des membres de la fabrique et complété dans les décennies suivantes, abonde nos connaissances sur la vie de la fabrique à cette époque. Il faut ensuite attendre le XVIe siècle pour renouer avec les dates. Dans les comptes des recettes et dépenses de la fabrique de l'église pour l'année 1539-154013, seul cahier antérieur aux guerres de Religion conservé, il est fait pour la première fois mention de chapelle Saint-Pierre (dite aujourd’hui chapelle des Brisson), construite par le maître maçon Liénard de la Réau. Le cahier s’ouvre en avril 1539, début de la construction de la chapelle. Les travaux se prolongent tout au long de l’année et sont encore en cours en mars 1540 lors de la fermeture des comptes pour cette année. Plusieurs dates portées apparaissent sur le chevet et ses chapelles. Un œil aguerri pourra ainsi observer les années 1540, 1542 et 1543 gravées à divers endroits dans l’angle sud-est de l’église. C’est à partir de ce moment que les archives se taisent. L’église Notre-Dame connaîtra un quart de siècle de tranquillité avant les tourments des guerres de Religion. En 1568, presque tous les piliers de l’église sont sapés. Seuls la voûte du clocher et les quelques piliers voisins sont épargnés. Bien que la ville jonglât de nombreuses fois entre les mains des protestants et des catholiques, l'église fut épargnée de nouvelles grandes destructions jusqu'en 1574. Cette même année, les conflits portent principalement atteinte au clocher, et particulièrement à sa 9 Alexandre Bitton, Inventaire des titres de l'église de Notre-Dame de Fontenay-le-Comte, Fontenay-le-Comte, Robuchon, 1872, p. 32. 10 ibid., p. 41 11 Archives apostoliques du Vatican : Suppl. Eugen. IV, n°326, fol 191 (transcription par Louis Delhommeau). 12 Arch. Vatican : Suppl. Nic. V, n°392, fol 27 (transcription par Louis Delhommeau). 13 Arch. dép. Vendée : 70 G 19, comptes de la fabrique pour l’année 1539-1540.

4 flèche et son escalier. Dépourvue d’une couverture décente, Notre-Dame est laissée dans un piteux état. Cinq siècles de reconstructions seront nécessaires. Si nous ne pouvons pas résumer l’ensemble des interventions, celles-ci étant particulièrement nombreuses, nous essayerons de citer ici les campagnes les plus notables14. En 1600, des piles rondes sont édifiées pour remplacer les piliers médiévaux disparus. Le clocher est restauré à plusieurs reprises. Désormais dans un meilleur état, l’église est considérée pour devenir cathédrale vers 1630, mais le projet ne verra jamais le jour15. En 1681, l’adjonction d’un grand retable en pierre bouche une partie des baies du chœur et l’accès direct aux chapelles rayonnantes. Un passage est alors creusé dans les contreforts pour les desservir. La flèche est reprise au début du XVIIIe siècle à partir du devis émis par l’architecte François Leduc. Les restaurations reprennent au XIXe avec une énième remise en état de la flèche, le remplacement des verrières par l’atelier Lobin et la restauration des portails nord et ouest, respectivement en 1854 et 1855. L’église retrouve un ensemble de voûtes en pierre, complétant celles édifiées au XVIIe siècle16. Dans la seconde moitié du XIXe, l’intérieur est doté de nouveaux autels et d’une tribune d’orgue, tous réalisés à partir des dessins et recommandations d’Octave de Rochebrune. Projet complexe et coûteux, la restauration du chevet s’étale de la fin du XIXe au second quart du XXe siècle17. Les restaurations suivantes resteront modestes. L’histoire de l’église Notre-Dame fut donc mouvementée. Chaque mur, chaque pilier et chaque voûte portent encore les traces du passé. Nous pourrions nous contenter d’appréhender l’église comme le résultat de plusieurs siècles de destructions et reconstructions ayant donné naissance au curieux patchwork que nous apprécions aujourd’hui. Or, dès le milieu du XIXe siècle, les érudits locaux privilégient une autre hypothèse : l’église Notre-Dame de Fontenayle-Comte est le résultat de plusieurs campagnes de construction distinctes s’étalant sur les XVe et XVIe siècles. Cette idée suggère l’existence d’une première église Notre-Dame flamboyante, celle édifiée vers 1423, qui fut par la suite agrandie et modifiée au fil des moyens et des ambitions de la fabrique. Une construction fragmentée 14 Toutes les pièces justificatives sont citées dans l’ouvrage suivant : Marie-Thérèse Réau, Fontenay-le-Comte, capitale du Bas-Poitou, Nantes, 303 et Région Pays de la Loire, 2008. 15 Fabrice Vigier, « De Maillezais à La Rochelle : le transfert du siège épiscopal au XVIIe siècle », dans Mathias Tranchant, Cécile Treffort (dir.), op. cit., p. 417-443. 16 Pour les travaux du XIXe siècle : Eugène-Louis Aillery, Julien Huet, « Fontenay-le-Comte, paroisse Notre-Dame », dans Les Archives du Diocèse de Luçon, t. IX, Luçon, M. Bideaux, Imprimeur de l’Évêché, 1918, p. 704-739. 17 MPP : E/81/85/6-49(1), Fontenay-le-Comte (Vendée). Eglise Notre-Dame. Dossier de conservation entre 1844 et 1939.

5 En 1846, l’érudit Benjamin Fillon essaye de retracer le déroulement des travaux du XVe siècle. Bien qu'il indique en préambule que « la date de la reconstruction est presque impossible à fixer exactement18 », il distingue déjà l'évolution de l'architecture dans certaines parties de l'édifice. Ainsi, « l'ogive flamboyante, employée dans diverses parties, et l'anse de panier des portes dénotent assez de la dernière période du gothique, qui se marie déjà avec la Renaissance19 ». En partant d’une date de début indéterminée située autour de 1423, Benjamin Fillon propose donc de fixer la fin des travaux de reconstruction dans la seconde moitié du XVe siècle. Néanmoins, c’est dans son article Lettres à Monsieur Octave de Rochebrune sur divers documents artistiques relatifs à Notre-Dame de Fontenay20 que l’érudit précise davantage la lecture du bâti en se basant sur des remarques d'Octave de Rochebrune : « Il est une autre observation, particulière cette fois à N.-D., que je vous ai entendu formuler un jour et que je soumets également à ceux qui entreprendraient de décrire notre église. Vous m'avez démontré avec beaucoup de sagacité que la partie inférieure du clocher, les deux piliers les plus voisins, et le mur latéral de gauche, jusqu'à la chapelle Saint-Pierre, appartenaient seuls au milieu du XVe siècle, et étaient d'un style et d'un travail supérieurs au reste de l'édifice, tandis que ce qui subsiste des constructions primitives de la grande nef, du collatéral de droite et du chevet, bâtis successivement à des époques postérieures, accusait des modifications radicales dans le premier plan. » Les observations émises par Rochebrune s’appuient principalement sur la différence de style des piliers engagés entre les murs gouttereaux sud et nord. L’aquafortiste ne cache pas une certaine préférence pour la partie méridionale, d’un « style et d'un travail supérieurs au reste de l'édifice », à laquelle seraient alors ajoutés successivement le collatéral nord et le chevet. L’aspect le plus intéressant de cette citation demeure la dernière remarque mentionnant des « modifications radicales dans le premier plan ». Cette idée réapparaît cent quarante ans plus tard sous la plume d’Yves Blomme dans son ouvrage Poitou Gothique21. L’auteur consacre une notice à l’édifice fontenaisien et suppose l’existence d’au moins trois grandes campagnes de construction. La première campagne de travaux s'étendrait du collatéral sud au vaisseau central. Serait ajouté par la suite le collatéral nord avec son portail. Enfin, au début XVIe siècle, la construction gothique est achevée par l'ajout du chevet. Blomme s’appuie non seulement sur les piliers, mais aussi le profil de 18 Benjamin Fillon, Recherches archéologiques et historiques sur Fontenay, Fontenay-le-Comte, NairièreFontaine, 1846, p. 84. 19 ibid., p. 87 20 Benjamin Fillon, « Lettres à Monsieur Octave de Rochebrune sur divers documents artistiques relatifs à NotreDame de Fontenay », dans Revue des provinces de l'Ouest (Bretagne et Poitou), Année n°1, 1853, p. 109. 21 Yves Blomme, Poitou Gothique, Paris, Picard, 1993, p. 157-166.

6 l’ébrasement des baies ainsi que sur les ruptures dans les assises de la maçonnerie. C’est à partir de cette lecture du bâti que l’auteur décèle dans le massif occidental une rupture nette dans la construction. Le massif oblique situé entre la baie nord et le portail central semble avoir causé un fort décalage de la maçonnerie (fig. 3). Au regard de la forme de ce massif, Yves Blomme propose de l’interpréter comme un ancien contrefort d’angle diagonal, un dispositif courant dans les édifices flamboyants de la région, venant marquer la limite septentrionale d’une construction antérieure à l’adjonction du collatéral nord. Conservé par les maçons du collatéral, le contrefort fut réinvesti dans sa partie supérieure pour s’accorder avec les tourelles du porche nouvellement édifié. Plus précis que Benjamin Fillon, Blomme soutient ainsi l'idée d'un premier projet de construction à seulement deux vaisseaux, qui fut par la suite transformé avec l'ajout d'un troisième vaisseau au nord, puis de l’ajout d’un chevet polygonal à l’est. En 2021, l’inventaire et l’étude d’un dépôt lapidaire dépendant du Musée de Fontenayle-Comte permirent de se replonger dans l’histoire récente de l’église22. Le dépôt compte parmi ses pièces les plus remarquables un ensemble de pierres sculptées datées du XIIe siècle. Ces fragments correspondent aux descriptions faites par Emile Boutin, premier conservateur du musée, des pierres déterrées dans les années 1940 aux abords et dans le sol de Notre-Dame23. Comme mentionné en introduction, l’architecte Jean Merlet traversa lors des travaux de 1945 les fondations d’un mur situé au niveau des piles du XVIIe siècle et parallèle au mur gouttereau nord. Au sein de ce mur furent retrouvées les différentes pièces sculptées romanes, retaillées et utilisées comme moellons. Boutin pensait voir dans ce mur la trace de l’édifice roman. Nous ne réfutons pas la possibilité qu’un mur gouttereau roman ait pu exister à cet emplacement. Toutefois, la présence de pièces sculptées romanes, dont certaines portent des traces d’enduit et de polychromie, atteste de leur utilisation comme réemploi à un moment où une partie de l’église romane fut détruite pour laisser place à une nouvelle construction. Ces fondations peuvent-elles correspondre à un premier mur septentrional avant l’ajout du collatéral nord ? Si elles semblent s’aligner avec le contrefort d’angle diagonal intégré dans la façade ouest, elles n’ont été constatées que dans la troisième travée. Les tranchées créées lors des fouilles opérées en 201624 le long de deux piles ayant été creusées vers le nord, elles n’ont pas pu confirmer la présence de fondations d’un mur dans l’axe est-ouest pour les autres travées. Ainsi, si les 22 Mathilde Pubert, op. cit., 2021. 23 Emile Boutin, Fontenay-le-Comte. Inventaire des constructions anciennes et des curiosités de la commune, Fontenay-le-Comte, Imprimerie Lussaud Frères, 1947, p. 148. 24 Jérôme Pascal, Nicolas Bonnin, Fontenay-le-Comte (Vendée), Eglise Notre-Dame. Rapport d’opération, Inrap Grand-Ouest, Février 2016.

7 travaux de Merlet renforcent l’hypothèse de Fillon, Rochebrune et Blomme, de nombreuses inconnues demeurent concernant la nature et l’étendue des fondations traversées en 1945. Au-delà de l’étude archéologique, l’apport des nouvelles technologies se révèle particulièrement précieux. Les orthophotographies réalisées par le cabinet d’architecte Pierluigi Pericolo dans le cadre de la restauration de l’église permettent d’appréhender chaque mur dans son ensemble sans les déformations engendrées par notre point de vue en contre-plongée ni par l’important dénivelé du terrain. Les vues aplanies des façades sud et nord soutiennent ainsi les idées précédemment évoquées. Bien que leur composition en enfilade de pignons soit identique, la conception des deux façades a été abordée très différemment. Le sol sur lequel se trouve l’église accuse en effet un dénivelé de quasiment quatre mètres entre la façade ouest et la base des chapelles rayonnantes à l’est. Si la façade sud agrandit progressivement son soubassement pour maintenir l’alignement des pignons et des baies, la façade nord s’affaisse à partir de la troisième travée, pourtant sans aucune rupture dans la maçonnerie. Les baies et les pignons septentrionaux dans les travées 3 et 4 sont ainsi nettement plus bas que dans les travées précédentes. Si ce décroché est facilement observable depuis l’intérieur, il est peu perceptible aux abords de l’église. Néanmoins, il est du plus bel effet depuis la rue Gaston Guillemet, au niveau de l’hôtel de la Pérate, puisqu’il offre une poussée des lignes directrices vers le portail nord et la flèche. Or, une telle différence dans l’appréhension d’un problème commun ne peut que suggérer très fortement l’existence de maîtres d’œuvre distincts entre le côté sud et le côté nord. Les indices stylistiques et archéologiques convergent donc vers une même idée. L’église Notre-Dame de Fontenay-le-Comte fut édifiée en au moins trois grandes campagnes distinctes. La première campagne de travaux correspond à l’édification d’une église à deux vaisseaux avec un clocher situé au-dessus de la première voûte méridionale. La forme de son chevet est inconnue. Un troisième collatéral, vraisemblablement non prévu à la base au regard de l’existence d’un ancien contrefort d’angle, est construit au nord postérieurement. Le portail ouest est ajouté après la construction du mur dans lequel il est inséré. Enfin, le chevet, délimité au nord et sud par de nettes ruptures dans la maçonnerie, est agrandi pour former l’église que l’on connaît aujourd’hui. Si ce phasage comporte encore quelques points d’ombre, il constitue aujourd’hui l’hypothèse la plus solide concernant la reconstruction de Notre-Dame à la fin du Moyen Âge (fig. 4). Les spécialistes de l’architecture constateront ici un déroulement du chantier quelque peu chaotique. S’ils sont planifiés d’une seule traite, les édifices se construisent le plus souvent d’est en ouest, ou inversement. Dans notre cas fontenaisien, la

8 progression se fait du sud vers le nord puis vers l’est. Cette situation fait écho aux « modifications radicales dans le premier plan » évoquées par Fillon. Le découpage en trois phases ne provient pas d’une planification en amont, mais bien d’une évolution du chantier et du projet porté par la fabrique. Ainsi, l’église à deux vaisseaux a probablement existé un certain temps, tout comme l’église à trois vaisseaux sans chevet polygonal. Et bien que perdues aujourd’hui dans un autre projet, les maçonneries laissent toujours apparaître les fantômes de ces églises oubliées. L’apport de l’étude des portails Si l’hypothèse évoquée concernant l’évolution de l’église au cours des XVe et XVIe siècles semble être convaincante au regard des données scientifiques, elle souffre d’un cruel manque d’éléments de datation, notamment pour la deuxième campagne. En effet, comme évoqué en amont, les archives et mentions s’étalent sur deux périodes : de 1423 à 1466 et de 1539 à 1543. Cela laisse une fourchette de soixante-treize ans non documentés. Les documents de la première période, celle allant du second au troisième quart du XVe siècle, ne précisent pas la nature des travaux, outre l’édification de trois voûtes non localisées et la réalisation de la cloche. Or, si nous considérons que la reconstruction de l’église fut commencée vers 1423 (ou avant) et qu’elle fut achevée par sa flèche, vers 1466 (ou après), notre première fourchette couvre donc peu ou prou les parties associées à la première campagne flamboyante. En effet, les ébrasements à colonnettes des baies méridionales appartiennent davantage à la première moitié du XVe siècle, tandis que les statues du clocher sont d’un style datable des décennies 1450 ou 1460. Le collatéral nord semble lui appartenir à une période légèrement postérieure au regard de la décoration du portail nord et de l’ébrasement prismatique des baies septentrionales. Enfin, la seconde période documentée allant de 1539 à 1543 concerne principalement la construction de la chapelle Saint-Pierre, à l’angle sud-est de l’édifice. De quelles époques datent alors le collatéral nord, le portail ouest et le chevet gothique ? Pour répondre à certaines de ces questions, l’étude des portails nord et ouest fut entreprise dans le cadre d’un mémoire de recherche à l’Université de Nantes entre 2018 et 202025. L’analyse stylistique d’un portail ne pouvant pas se baser sur son état actuel, le travail fut en partie consacré à l’étude des restaurations pour essayer de déterminer l’état initial des constructions étudiées. Le portail nord est restauré en 1854 à la demande du curé Félix Marie Ferchaud. De 25 Mathilde Pubert, Les portails flamboyants de l’église Notre-Dame de Fontenay-le-Comte, mémoire sous la direction de Jean-Marie Guillouët, Université de Nantes, 2020.

9 la construction primitive du XVe siècle, il ne reste qu'une part infime d'éléments non touchés par les restaurations du XIXe ou par les desquamations du calcaire. Il est ainsi difficile de s'appuyer sur le décor pour travailler sur le style. Le portail nord semble toutefois conserver sa composition originale, à l'exception des linteaux des portes, autrefois en anse de panier selon les diverses gravures et descriptions antérieures à la restauration (fig. 5). La niche surmontant le trumeau est aussi à associer au XIXe siècle, tandis que le trumeau en lui-même est repris au XXe siècle. Le portail ouest n’a pas fait l’objet de représentations avant sa restauration en 1855 par le sculpteur Ambroise Touzé sous la direction d’Octave de Rochebrune. L’artiste a toutefois laissé une lettre et un dessin précisant le travail que Touzé devait effectuer26. Les reprises sont donc principalement localisées sur le gâble, les remplages aveugles, les pinacles, les dais surmontant les niches ainsi que les frises végétales, les gargouilles et les crochets. La composition générale du portail ne semble pas avoir été altérée par les reprises. Néanmoins, quelques éléments présents à l’origine ne furent pas pris en compte dans les choix de Rochebrune. Un œil avisé pourra ainsi observer les départs de redents (ou des frises végétales) dans la seconde voussure au-dessus de la porte, non restitués dans la vision du XIXe siècle. Enfin, les colonnes torses, éléments les plus singuliers de ce portail, ne sont pas dues à l’imagination de l’aquafortiste mais bien au dessin initial du portail (fig. 6). Dans le cas de portails aussi fortement restaurés et peu documentés dans leur état d’origine, les considérations stylistiques s’appuient davantage sur la composition générale. Le portail nord, accompagné de son porche peu saillant, est une construction singulière. Les tourelles le surmontant ne sont pas symétriques. Le portail est couvert par une demi-voûte d’ogives qui repose maladroitement sur les contreforts. Les voussures sont séparées par des gorges et non des filets comme on pourrait l’attendre sur des moulurations flamboyantes. Les niches des petits contreforts ne s’alignent pas avec les niches des ébrasements. Outre ces quelques éléments surprenants, le portail nord accuse une composition assez classique, avec un grand tympan ajouré et de légers contreforts surmontés de pinacles de chaque côté. Il est possible de trouver de nombreux modèles analogues en Val de Loire, comme à Saint-Saturnin de Tours ou à Saint-Martin de Lunay par exemple. Le réseau du tympan du portail nord s’apparente de même à certains réseaux des baies de la claire-voie de la cathédrale Saint-Gatien de Tours édifiée à la fin du XVe siècle27. Le portail nord et par extension tout le collatéral semblent ainsi appartenir au dernier quart du XVe siècle, sans que l’on puisse déterminer avec 26 Archives paroissiales de Fontenay-le-Comte, documents non cotés. 27 Mathilde Pubert, op. cit., 2020.

10 précision le début et la fin du chantier. Le portail ouest, inséré dans une maçonnerie du début du XVe siècle, présente une composition plus conventionnelle, soit une porte en anse de panier surmonté d’un gâble. Les comparaisons possibles sont nombreuses, tant la simplicité du modèle le rend pérenne et facilement diffusable. Les colonnes torses nous orientent plutôt vers le XVIe siècle, période à laquelle les formes hélicoïdales fleurissent dans la région, comme dans l’hôtel Berthelot de Poitiers, la commanderie de Saint-Marc-la-Lande ou encore la chapelle des Goumard de la cathédrale de Poitiers. Difficile à dater précisément, le portail ouest semble s’inscrire dans une période allant de la fin du premier quart du XVIe siècle au début du quart suivant. Quelles perspectives de recherche ? Si l’étude des portails a pu apporter quelques précisions sur les modifications de l’église au nord et à l’ouest, les transformations du chevet demeurent un sujet complexe. Le chœur présente en effet deux vocabulaires architecturaux distincts : celui du gothique flamboyant pour la chapelle nord et les baies du chevet polygonal, ainsi que celui dit de la Première Renaissance pour les chapelles rayonnantes situées derrière le retable et pour la chapelle Saint-Pierre. La logique voudrait que le premier style soit antérieur au second. Or, la réalité est nettement plus complexe. Dans le chœur de l’église Notre-Dame d’Olonne, les deux styles se côtoient, tout comme dans le collatéral nord de l’église Saint-Gilles de Saint-Gilles-Croix-de-Vie ou dans le clocher de l’église Notre-Dame de Bressuire. Plusieurs éléments viennent ainsi questionner la chronologie admise pour le chœur. Dans le cahier des comptes de la fabrique pour l’année 1539-1540, il est plusieurs fois fait mention d’une chapelle derrière le grant autier, c’est-à-dire l’autel principal. Benjamin Fillon suppose que cette chapelle se trouvait à la place du maître-autel actuel, qui était bien plus en avant dans le chœur28. Cette hypothèse n’est pas viable au regard des éléments tirés des comptes de la fabrique : « Le dict jour [30 août 1539] paye a julien chatenayre huyt soulz pour deux journees qu’il a besouigné a recouvrir la chapelle qui est derriere le grant autier et par ce _ 8 sous. Le dict jour paye pour ung cent de teubles creuse troys soulz et quatre deniers et par ce _ 3 sous et 4 deniers29 » 28 Benjamin Fillon, Recherches archéologiques et historiques sur Fontenay, Fontenay-le-Comte, NairièreFontaine, 1846, p. 112. 29 Arch. dép. Vendée : 70 G 19, comptes de la fabrique pour l’année 1539-1540.

11 L’extrait mentionne clairement une chapelle placée derrière l’ancien grand autel et vraisemblablement couverte en teubles creuses (tuiles creuses). Une chapelle placée en amont, comme le soutient Fillon, aurait été couverte en ardoise, comme l’était le reste de l’édifice si l’on se réfère à la pente des pignons. Seules les différentes chapelles renaissantes présentent une pente adaptée à l’utilisation de tuiles canal sans ergot. Cela laisse donc supposer que les chapelles derrière le retable existaient avant l’édification de la chapelle Saint-Pierre en 1539. Par ailleurs, les parties gothiques du chœur présentent elles-mêmes des éléments tenants plutôt du langage renaissant (fig. 7), brouillant une lecture stylistique simpliste. Enfin, les fouilles de 2016 conduites à la jonction entre le retable et la chapelle rayonnante centrale n’ont pas fait apparaître les fondations supposées du mur gothique avant l’adjonction de la chapelle30. Toutes ces informations soulèvent une question essentielle : les chapelles ont-elles vraiment été ajoutées après l’édification d’un chœur gothique ou l’ensemble du chevet appartient-il à une même grande phase de travaux à double langage ? Si les éléments dont nous disposons aujourd’hui ne nous permettent pas de trancher, des fouilles similaires à celles de 2016 seraient particulièrement pertinentes à conduire dans les deux autres chapelles rayonnantes, et attesteraient (ou non) de la présence d’un mur de fondation dans l’axe des parties supérieures gothiques. Une étude poussée des maçonneries peut être aussi envisagée, mais elle devra prendre en compte les nombreuses et lourdes restaurations entreprises à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Enfin, nous notons la mention par Benjamin Fillon d’un procès-verbal dressé en 1541 par Jacques Daniau, membre de la fabrique31. Nous n’avons pas pu, à l’heure de la rédaction de cet article, retrouver ce document. L’avenir, nous le pensons, nous promet encore de belles découvertes32. Mais l’heure est, en 2023, à la célébration et à la transmission des savoirs acquis ces dernières années33. Car la vieille dame n’est pas qu’un objet d’étude, elle demeure aujourd’hui le cœur de la ville comme elle fut, six cents ans auparavant, l’édifice au centre de toutes les attentions. 30 Jérôme Pascal, Nicolas Bonnin, op. cit., p. 35. 31 Benjamin Fillon, « Lettres à Monsieur Octave de Rochebrune sur divers documents artistiques relatifs à NotreDame de Fontenay », dans Revue des provinces de l'Ouest (Bretagne et Poitou), Année n°1, 1853, p. 113-114. 32 Les recherches se poursuivent dans le cadre d’une thèse. Mathilde Pubert, L’architecture religieuse flamboyante en Bas-Poitou aux XVe et XVIe siècle : identités d’un territoire entre Moyen Âge et Renaissance, thèse de doctorat en histoire de l’art sous la direction d’Hélène Rousteau-Chambon et Jean-Marie Guillouët, Nantes Université en codirection avec l’Université de Bourgogne, en cours. Parallèlement, dans le cadre d’un financement CIFRE, une étude d’inventaire sur ce sujet est portée par l’Inventaire général du patrimoine de la Région Pays de la Loire. 33 William Chevillon, Notre-Dame de Fontenay-le-Comte. Un monument dans son territoire, La Roche-sur-Yon, Centre vendéen de recherches historiques, 2023.

12 Images : Toutes les photographies et illustrations sont de l’auteur sauf si mention contraire. Fig. 1. Vue de l’église depuis la plateforme de l’ancien château, dit Parc Baron. Fig. 2. Cloche Saint-Venant, datée de 1466. Fig. 3. Massif oblique de la façade occidentale. Fig. 4. Plan au sol de l’église. Dessin à partir d’un relevé des Bâtiments de France de Vendée. En rouge, la première campagne. En vert, la deuxième. En bleu, la troisième. Fig. 5. Détail d’une estampe d’Octave de Rochebrune avant la restauration du portail nord. Les linteaux, conformément aux descriptions avant 1854, étaient en anse de panier © BNF, Rochebrune, Octave de (1824-1900). Graveur. Portail de l'église de N.D. de Fontenay-le-Comte. Côté de la grande rue : [estampe]/ dessiné et lith. par O. de Rochebrune. 184?. Fig. 6. Chapiteau d’une colonne torse du portail ouest. Fig. 7. Culot situé sur la partie supérieure du chevet. Mathilde Pubert, doctorante en Histoire de l’art à Nantes Université, UMR 6566 CReAAH (LARA), chercheuse-doctorante CIFRE à l’Inventaire général du patrimoine, Région Pays de la Loire

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